Sombre histoire...
Une douleur fulgurante dans le ventre. Une lumière aveuglante. Du noir. Encore cette lumière. Encore ce noir. Mes paupières s'ouvrent et se ferment. Des visages aux yeux agrandis par..la surprise? L'horreur? Une brusque inspiration, puis un souffle. Encore une inspiration. Encore un souffle. Mon petit abdomen se gonfle et se dégonfle. Aucun bruit, aucun cri. Le silence. Total. Angoissant. Des mains rudes et calleuses me prennent pour me déposer dans d'autres, douces et attentionnées. De l'eau. Des gouttes. Des larmes, qui viennent mouiller mon petit corps nu de nouveau né. Des larmes de joie, déversées par deux grands yeux d'un noir profond, et suivies d'un soupir et d'un chuchoti à mon oreille: "
Je t'aime ma petite Nephtys".
Alors, des cris de joie et de soulagement retentissant dans toute la plaine, suivis de nouveaux au loin, réactions à l'heureuse nouvelle qu'était une naissance dans cette région paysanne d'Amakna. La ferme des O'malik avait enfin vu naître son deuxième enfant.
Le calme était peu à peu revenu, et un petit garçon âgé de quelques années seulement était apparu dans mon champ de vision, piétinant la paille recouvrant le plancher en bois et se penchant au-dessus de moi. L'apparition de deux gros yeux verts exprimant à la fois jalousie et dégoût m'avait fait sursauter pour la première fois de ma vie, ou bien était-ce l'effet des ongles de la petite main encore potelée qui s'étaient enfoncés dans ma chair et avaient sèchement griffé la peau de ma joue...
La plupart des gens disent qu'on ne se souvient pas de sa naissance, mais plutôt de ce qui survient après quelques années; pourtant, ce ne fut pas mon cas, ceci est le seul souvenir que j'ai jusqu'à mes 6 ans. Peut-être que quelque chose ne tourne pas rond chez moi? C'est fort possible, d'autant plus que j'ai toujours voulu être différente, me démarquer des autres et de leurs choix.
C'est ainsi qu'en 628 arriva mon premier accident.
Mon père nous avait emmené, mon frère et moi, à l'ouest de la forêt d'Amakna, où se trouvait son terrain de chasse aux sangliers favori. Mon frère, de trois années mon aîné, en avait profité pour lancer une partie de picpic, un jeu qui consiste à se cacher et à attendre d'être trouvé par son partenaire de jeu, j'étais donc partie à sa recherche quand je suis tombée à plat ventre dans un buisson épineux. Me relevant tant bien que mal, j'aperçus un reflet scintillant quelques pas plus loin. Me précipitant à la source de cet éclat, je découvris un cadavre, qui était devenu plutôt un squelette, vu l'état avancé de décomposition dans lequel il se trouvait. Autour de ce qui devait être le cou du mort, un collier de diamants scintillait de mille feux. Je m'approchai rapidement et arrachai le bijou que je passai ensuite autour de mon petit cou. C'est alors que je remarquai la mare de lave située à la gauche du corps du défunt. Je m'approchai lentement et me penchai au-dessus de cette pâte bouillante. A ce moment, un bras me saisit par la taille et me tira en arrière. Je compris au son de la voix fluette qui s'adressa à moi que c'était mon frère:
"
Mais tu es folle? Tu veux mourir brûlée ou quoi? Et qu'est-ce que c'est que ce cadavre là? Ça fiche la trouille ici! Dépêche-toi! On repart avant que papa ne remarque notre absence!"
Je me retournai face à lui et c'est là qu'il le vit, le collier, MON collier:
"
C'est quoi ça? Tu l'as trouvé où?"
Je pointai du doigt le cadavre.
"
Mais t'es malaaade!" Sur ces mots il arracha le bijou de mon cou et le balança dans l'étendue de lave. Moi, d'habitude si silencieuse, je criai, je hurlai.
"
MON TRESOR!!! T'AS PAS LE DROIT! C'EST LE MIEN!!!"
Je courus jusqu'à l'étendue de lave, mes pieds s'enfoncèrent dans la masse brûlante mais plus un mot ne sortait de ma bouche. Les yeux fixés sur l'endroit où le collier disparaissait, j'en oubliais la douleur du bas de mes jambes. Ayant fait deux petits pas dans la lave, j'arrivai à l'endroit voulu, et plongeai mon bras dans la pâte incandescente. Déséquilibrée en avant, mon frère me saisit le bras droit pour m'empêcher de tomber. Pendant que j'attrapais le bijou, je sentais la chair de ma main et de mon bras gauche se détacher de ces derniers. Sortant les diamants de la lave, je me rendis compte que ma main aller tout lâcher; je mis donc le collier plein de lave dans ma bouche et, résistant à la douleur, je succombai à la force de mon frère me tirant en arrière. Je tombai sur le sol moelleux et, sentant les caresses agréables des herbes de la berge, je sombrai dans l'inconscience.
Les jours, les semaines, les mois, qui suivirent furent tous les mêmes. Allongée dans une pièce sombre, des gens venaient et repartaient, changeant mes bandages et appliquant des onguents sur mes jambes, mon bras, mon visage, me faisant boire différentes potions au goût plus infecte les unes que les autres. Mais tout cela m'importait peu, mes yeux restaient fixés sur l'éclat scintillant d'un des diamants du collier que je tenais fermement dans ma main droite. Affaiblie par mes blessures et droguée par les potions qu'on me donnait pour apaiser les douleurs et me soigner, je restais dans un état semi conscient, n'entendant rien, ne voyant rien d'autre que ce petit scintillement...
Il me semble que quatre années passèrent avant que je ne puisse me relever, et deux autres encore pendant lesquelles on m'aida à rééduquer mon corps. En effet, tous mes muscles avaient fondu à cause de mon inaction totale et, je ne sais comment cela était possible, la chair des endroits touchés par la lave avait disparu. Seuls ma bouche et mon menton conservaient encore un peu de peau mais étaient totalement déformés par mon accident. Il ne restait que des os aux autres endroits, et pourtant, j'étais encore en vie. Je tenais pour responsable de ce miracle, celui qui était devenu mon porte bonheur: mon collier de diamants. Jusqu'à mes douze ans je ne prononçai pas un mot, j'écoutais; habituée à la noirceur de la pièce dans laquelle j'avais vécu durant quatre ans, le soleil me brûlait désormais les yeux et je recherchais sans cesse des endroits sombres. Ayant toujours voulu être parfaite, je savais que j'avais échoué et c'est avec honte que que je cachais désormais toutes les parties mortes de mon corps sous du tissu, le reste étant tout de même devenu attirant à mesure que je grandissais.
Je me différenciai encore des autres à mes douze ans lorsque j'informai toutes mes connaissances que j'irai suivre les enseignements de Sram, contrairement aux traditions qui avaient orienté tous mes proches vers Eniripsa ou Crâ. Mes parents, surpris et ravis de m'entendre de nouveau parler, n'osèrent pas protester et me laissèrent partir au Temple Sram où je passai les six années qui suivirent.
Là-bas, je me refermai encore un peu plus sur moi-même, et j'appris à devenir invisible et à agir dans la discrêtion. Je passai chacun de mes moments libres à lire les nombreux ouvrages de la bibliothèque d'Amakna ou bien à chasser toutes sortes de bêtes nocturnes. Je m'étais découvert une passion pour la traque des proies et un plaisir intense à l'agonie lente qui précédait leur mort. Ceci n'était d'ailleurs pas pour déplaire à Sram, pour qui j'éprouvais le plus grand respect et la plus grande foi. Je devins ainsi une disciple fidèle et, ayant retrouvé des capacités physiques à la hauteur de mes attentes, je réussis sans difficulté l'examen de fin d'apprentissage au Temple.
J'avais désormais dix-huit ans, et je partis, comme tout le monde dit, "à la découverte du monde des douze". Je parcourus de nombreux territoires différents, préférant voyager la nuit, lorsque les éléments étaient en ma faveur. Après un peu plus d'une année à changer sans cesse d'environnement, j'en vins à retrouver "goût" à la vie, interpelant parfois quelques personnes, ou sympathisant avec d'autres. Puis, je retournai sur mes terres natales, où mes parents furent ravis de découvrir que j'étais devenue quelqu'un de bien, ou tout du moins c'est ce qu'ils pensaient.
En ce moment, vous pourrez me croiser souvent dans les ruelles d'Astrub, surtout la nuit. Et si vous me cherchez dans la journée, essayez plutôt l'intérieur et les caves de certaines maisons, ou bien si vous n'avez pas peur du noir, les souterrains et les tunnels miniers situés sous la ville...