Le Clan de mercenaires de Nedora Riem (DOFUS - Orukam)
 
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 La Véritable histoire de Nedora Riem

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   Javion   

Javion
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MessageSujet: La Véritable histoire de Nedora Riem   La Véritable histoire de Nedora Riem EmptyVen 21 Jan 2022 - 14:29

[HRP] La Véritable histoire de Nedora Riem est disponible en format écrit, mais aussi audio ! Des liens de lecture audio sont disponibles tout au long du texte afin de vous faire profiter d'une découverte rafraîchissante de notre histoire. Bonne lecture, et bonne écoute ![/HRP]



Préambule : Ici sont conservés les cinq disques sacrés relatant la véritable histoire de notre ancêtre, Nedora Riem, contée par son très cher ami le Nimbos Hyppocroûte, ainsi que leur retranscriptions écrites par nos soins. Que ces mots qui nous définissent vous apportent la lumière sur qui nous sommes et les idéaux que nous poursuivons. Ceci est notre héritage.

Merci de remettre ces disques à leur place dans un état impeccable.


Note du Clan Nedora Riem


I. Prologue de géologue


La légende raconte que Nedora mourut seule au fond d'une grotte oubliée derrière une cascade. C'est partiellement vrai.
Je vais vous conter la véritable histoire de Nedora. Mais pour ça, nous devons d'abord remonter loin dans le temps et les entrailles de la terre. Notre histoire se situe peu après l'Aurore Pourpre, dans une mine de Sidimote, et commence avec des Nimbos.
Les Nimbos, si vous l'ignorez, sont des êtres à la fierté hors du commun. Et parmi les Nimbos, le clan Boutefeu était un clan particulièrement fier. Ils avaient de quoi ! Des sept clans, ils étaient les meilleurs dans l'art du minage et celui des alliages. Ces talents révérés chez les Nimbos faisaient naturellement des Boutefeu un clan puissant et orgueilleux qui inspirait respect et jalousie.
Mais tout ne coulait pas de source chez les Boutefeu pour autant, il fallait une poussière dans le lingot, comme disait l'adage. Burin, le chef du clan, avait fait le choix d'accepter le rang de contremaître de Brâkmar. Cette décision qui renforçait encore un peu plus la place du clan dans le monde n'était pourtant pas au goût de tous les Nimbos. Certains Boutefeu voyaient là une démonstration de faiblesse, oui ! Les Boutefeu étaient déjà puissants, ils n'avaient pas besoin de Brâkmar !
Mais Burin resta sur sa position et une dispute éclata. Parmi les plus bourrus des Boutefeu, une équipe de mineurs particulièrement extrême prit la décision de leur roi comme un terrible affront fait aux Nimbos. Ils s'exilèrent alors dans les mines, loin de ce qu'ils considéraient comme le déshonneur de Burin.
C'est avec ces parias Boutefeu que commence notre histoire.
Au fond d'un tunnel d'excavation …

- Lumière, les piots !
La lanterne remonta la file de main en main. C'était toujours les jeunes apprentis à l'arrière qui portaient les loupiotes. Les maîtres mineurs à l'avant gardaient les outils. La lanterne atteignit rapidement le bout de la troupe pour éclairer la barbe hirsute du Nimbos en tête de file. Ses sourcils broussailleux barraient son front ridé par la contrariété.
- L'tunnel y s'est resserré ! Aux pioches les gars !
Quelques instants plus tard résonnait dans la galerie le doux chant de la pioche contre le roc. Le métal contre la pierre. Le Nimbos et la terre.
Pic ! Pic !
Les entrailles de la terre frissonnaient sous la caresse de la pioche et de la pelle.
Pic ! Pic !
L'air se réchauffait de bonheur au son de la musique cliquetante.
Pic ! Pic !
Au bout de la file, le cri d'un jeune Nimbos résonna en choeur avec la clameur des pics.
Pic--
BRAOUUUMRRAAA !
La galerie s'effondrait !
- FUYEZ !
Les Nimbos hurlaient à plein poumons mais leur voix ne couvrait pas le vacarme de l'effondrement.

Les ténèbres engloutirent le tunnel.



II. Sous le volcan




La poussière retomba finalement après une éternité. Un jeune Nimbos qui se trouvait en fin de convoi se releva tant bien que mal. Contusionné, couvert de poussière et à moitié sonné, il ne voyait rien et respirait avec difficulté. Ca et là, d'autres Nimbos grognaient près de lui, à terre.
Trop peu, remarqua le jeune Nimbos avec effroi. Qu'était-il advenu des autres ?
Face aux rescapés, il n'y avait plus de tunnel. La galerie s'était effondrée, et ils ne savaient pas sur combien de kamètres. Y avait-il seulement des survivants de l'autre côté ?
- Ohé ! Oohéé ! Répondez !
Les jeunes Nimbos s'égosillaient en espérant entendre quelconque signe de vie de leurs aînés.
- Taisez-vous, taisez-vous, on va rien entendre si vous braillez comme ça, dit le jeune Nimbos en intimant le silence à ses confrères.
Pendant plusieurs minutes ils écoutèrent dans un silence anxieux, jusqu'à ce que des voix presque proches résonnent à travers l'éboulis. Ils étaient en vie !
Les jeunes Nimbos s'apprêtaient à entamer une gigue de la victoire, mais ils comprirent que les cris qu'ils entendaient étaient un peu trop hystériques.
- … -cés ! … est coincés ! Y'a d'la lave partout ! On est coincés !
Un frisson d'horreur parcourut la petite barbe du jeune Nimbos. Il se retourna, paniqué.
- Faut les aider les gars ! On creuse !
- Mais Hyppocroûte, c'est eux qu'ont les outils !
- 'Vont pas pouvoir creuser si y'a d'la lave sur la paroi hé, gronda un autre.
- Faut aller chercher des outils, rapide, vite !
- On est trop loin !
- Alors faut d'mander leur aide à eux.
Les Nimbos échangèrent des regards inquiets. Tous avaient parfaitement compris qu'Hyppocroûte faisait référence aux Boutefeu qui étaient restés fidèles au Roi Burin, ceux-là même qui les considéraient comme des traîtres rebelles !
Malgré une hésitation franche des jeunes Nimbos, ils finirent par envoyer l'un d'eux quérir de l'aide. Celui-ci revint accompagné d'un émissaire du roi et de plusieurs chariots d'outils ! Mais alors que les Nimbos se ruaient sur les chariots, l'émissaire du roi les stoppa net en déclarant :
- Le Roi Burin il est prêt à vous donner un coup d'main, mais y'a une condition. Va falloir servir son nintérêt.
Devant la mine interdite des jeunôts, l'émissaire se rendit près de l'éboulis et se mit à hurler :
- Ici l'émissaire du roi ! On vous sort de là très très vite, mais y'a une condition que j'ai dit !
- …
- Pour avoir insulté les Boutefeu, pour avoir tiré la barbe du roi et pour vous être exilés, vous devez … Dire « Pardon ».
La réponse fusa tout naturellement comme on pouvait s'y attendre :
- JAMAIS !
- PLUTÔT MOURIR ! GROS PIF !
- VIENS M'DIRE CA EN FACE SI T'AS UNE BARBE !
La fierté des Nimbos avait une fois encore fait les preuves de son inflexibilité désespérante, et l'émissaire repartit avec les chariots, laissant les vieux piégés et les jeunes démunis.
- On fait quoi ?!
- On creuse avec les mains !
- Y s'ront déjà des squelettes quand on aura fini, à c'train là !
Le Nimbos qui avait parlé en dernier avait raison, aussi Hyppocroûte déclara-t-il :
- Restez tous là, j'vais chercher d'l'aide.
- Où ça ?
- Dehors.
- Non !
Le cri avait jailli de toutes les bouches, y compris de l'autre côté de l'effondrement. Mais Hyppocroûte jugeait qu'ils n'avaient pas le temps de débattre, et il détala malgré les menaces de ses camarades.
Il ne savait même pas où demander de l'aide, il n'avait jamais quitté la mine. Sans doute n'était-il pas assez fier pour un Nimbos, sans doute serait-il moqué à son retour.
Qu'importe.
Il préférait voir ses aïeux en colère et vivants que fièrement morts.


III. Un contrat contrariant



Au pied du volcan, une auberge était animée ce soir-là par les conversations bruyantes des mercenaires du Clan Kenera Riem. Leur chef, Kenera, avait réquisitionné ses frères d'armes pour un contrat fort juteux, quoique pénible. Hormis sa sœur Nedora qui s'était jetée sur le contrat de bon coeur, tous étaient venus en traînant des pieds, mais ils concédaient maintenant la victoire à Kenera en sirotant une bière bien méritée, les bourses pleines et la bedaine repue. Quel pactole !
- C'est notre contrat le plus rentable de la saison, hein chef ?
Kenera hochait la tête en souriant d'un air satisfait. Un autre mercenaire ajouta :
- Et le client était content, il va sûrement refaire appel à nous. S'il paie aussi bien à chaque fois, on aura plus besoin de se coltiner les petits contrats de pouilleux !
- Et bien cher camarade, répondit Kenera, tu seras heureux d'apprendre que j'ai passé un accord avec ce client et je peux t'assurer que nous serons toujours payés à la hauteur du paiement d'aujourd'hui.
Il y eut un tonnerre d'acclamations et les chopes s'entrechoquèrent joyeusement au-dessus de la tablée.
- Pour Kenera ! Pour les Kamas !
Alors que la bière et la chaleur commençaient à faire tourner les têtes des joyeux lurons, la sœur de Kenera se leva pour prendre un peu l'air. Elle ne savait pas bien si c'était la chaleur qui l'étouffait, ou autre chose. Elle fit un clin d’œil complice à son frère pour le rassurer et celui-ci, maintenant porté par ses mercenaires ravis, lui rendit le signe. Ils se comprenaient. Nedora sortit du bar et laissa l'air nocturne l'absorber. L'atmosphère de Sidimote à la nuit tombée était parfaite ! Elle s'éloigna un peu jusqu'à ce que les chants des Kenera Riem se soient étouffés, et contempla le volcan. Sacré bout de caillou en colère ! Elle s'imaginait en haut, courbaturée, entaillée et suante d'avoir grimpé jusqu'au sommet. Elle imaginait la fierté de réussir un tel exploit, la vue spectaculaire… Elle n'avait plus qu'une envie : s'élancer au galop et escalader la montagne enflammée ! Mais alors que ses muscles réclamaient l'accomplissement de sa pulsion, quelque chose attira son regard. La disciple de Iop rejeta sa fière crinière en arrière et plaça sa main en visière. Une petite boule grise dévalait la route sombre à toute vitesse – du moins, avec toute la vitesse dont les petites choses qui lui servaient de jambes étaient capables. Elle reconnut la créature quand celle-ci tomba d'épuisement à ses pieds dans un « clong » métallique. Un Nimbos !

À l'intérieur de l'auberge, les chants se turent quand Nedora ouvrit la porte à la volée et s'écria :
- Mon frère, j'apporte un contrat urgent !
Tous les regards se tournèrent vers la sœur de Kenera et son client.
- Un Nimbos ?! Mais ils ne quittent jamais leurs mines, s'étrangla le tenancier. Impossible !
Passée la surprise, les mercenaires reprirent leur sérieux et écoutèrent l'histoire du Nimbos qui se faisait appeler Hyppocroûte. Après quoi, ils s'isolèrent dans un coin de la taverne pour débattre à l'abri des oreilles indiscrètes. Presque tous étaient d'avis de ne pas accéder à la requête du Nimbos. Nedora s'en indigna :
- Vous n'avez pas écouté ce qu'il demande ?!
- Nous avons entendu, ma sœur. Les siens sont coincés au fond d'une mine, menacés par la lave, et il faut des bras pour aider à creuser une issue. Mais toi, as-tu entendu ce qu'il n'a pas dit ? Des Nimbos, les meilleurs mineurs du monde, piégés dans une galerie ? Au fin fond d'un volcan actif ? Si eux, des experts, se sont fait piéger, comment va-t-on creuser au même endroit sans subir le même sort, hm ?
- Pour passer notre temps à creuser six pieds sous terre et à étouffer sous la chaleur et la poussière en plus, non merci, ajouta un autre.
Nedora planta son regard dans celui de Kenera. Tous deux savaient très bien ce qu'allait dire Nedora. Ils savaient toujours.
- On peut leur sauver la vie.
- C'est pas notre rôle de mercenaire, rétorqua un de ses collègues, mais aucun des deux Riem ne l'écoutait. Nedora ajouta :
- Et ton rôle de Feca ?
Kenera soupira.
- Les gars reviennent d'un gros contrat, ils ne voudront jamais se lancer là-dedans.
- Il est peut-être temps de montrer que tu es un chef.
Nouveau soupir. Nedora continuait de le fixer. Elle savait à ce moment qu'elle avait gagné. Kenera se cala contre le dossier de sa chaise et dit d'une voix plus forte :
- Chers mercenaires, on va avoir du pain sur la planche ce soir, le repos attendra demain !
Des grognements et des protestations montèrent de dessous les Clints, mais Kenera fut intraitable.
- Et qui va nous payer pour ça hein ?
- Hu-hum.
Les têtes se tournèrent vers le Nimbos qui venait de s'éclaircir la gorge :
- J'ai rien là sur moi, mais si vous v'nez, j'suis prêt à vous ouvrir la trésorerie d'not'clan. Vous prenez c'que vous voulez tant qu'mes frères y sont sauvés. Faut faire vite.
Tous les mercenaires se regardèrent en souriant. Les Nimbos étaient connus pour garder dans leurs coffres les plus riches trésors du monde des Douze. Nedora coula un regard malicieux sur son frère qui déclara :
- Mène nous à ton tunnel, Nimbos. Les mercenaires du clan Kenera Riem acceptent ton contrat. En retour nous prendrons dans ton trésor le juste prix de nos efforts, pas plus, mais pas moins. Marché conclu ?

IV. Accueil glacial au cœur du magma



- L'tunnel est pas très loin !
Hyppocroûte avait mené la troupe de mercenaires à travers un dédale de galeries qui s'enfonçaient toujours plus loin dans la fournaise, et la chaleur augmentait drastiquement à chaque embranchement. Les mercenaires transportaient avec eux des outils qu'ils avaient fait venir de Brâkmar.
- Alors on fait comme convenu. Baalt, tu vas avec lui. Nous, on continue !
Le mercenaire dénommé Baalt et Hyppocroûte se détachèrent alors du groupe pour se rendre jusqu'au trésor des Nimbos. Les mercenaires de Kenera poursuivirent tout droit jusqu'à arriver devant la galerie effondrée. Ils furent accueillis par une nuée de regards mauvais à hauteur de leurs genoux et par un lourd silence.
- Nous sommes le Clan Kenera Riem, nous venons vous aider, commença Kenera.
Trois Nimbos crachèrent par terre en réponse et leur tournèrent le dos. Le chef des mercenaires jeta un regard équivoque à sa sœur, mais Nedora ne se laissa pas démonter. Elle brandit sa pioche et s'exclama :
- Allez, frères mercenaires ! Au travail !
Ainsi commença le sauvetage. Les mercenaires travaillaient efficacement malgré leur inexpérience minière. Leur organisation et leur versatilité aurait forcé le respect de quiconque, mais les Nimbos ne daignaient pas lever le petit doigt. Ils marmonnaient entre eux dans leur langue et jetaient des regards mauvais en croisant les bras. Les mercenaires eux creusaient, déblayaient, consolidaient les parois, travaillaient dur. Mais les Nimbos n'étaient pas très coopératifs, et c'était peu dire. Quand un mercenaire réclama de la lumière, la plupart d'entre eux soufflèrent sur leurs lanternes et les jetèrent, éteintes, aux pieds des Kenera. Ceux-ci avaient la furieuse envie d'arrêter et de laisser les Nimbos pourrir dans leur mine, mais ils étaient tenus par le contrat et emportés malgré eux par l'entrain de Nedora. De tous, c'était elle qui maniait la pioche avec le plus de férocité. Elle abattait le travail de trois de ses collègues et avec bonne humeur pour ne rien gâcher !
Mais malgré leurs efforts, la pierre était dure et l'avancée se faisait lente, très lente. Plusieurs fois les mercenaires avaient argué que l'aide des Nimbos permettrait de sauver leurs aînés plus vite et qu'ils seraient dédommagés en conséquence, mais les Nimbos étaient intraitables. L'aide des mercenaires était pour eux un affront terrible et impardonnable. De l'autre côté de l'éboulement, les Nimbos piégés restaient silencieux, même quand les mercenaires les appelaient pour se faire une idée de la distance. Les mineurs préféraient mourir que d'accepter l'idée d'être secourus par des étrangers. Cette attitude ajoutée à la lenteur de la progression n'aidaient pas le moral des Kenera Riem.
Et les choses empirèrent très vite.
Baalt et Hyppocroûte apparurent dans le tunnel. Les Nimbos se levèrent – ce qui passa presque inaperçu – et scrutèrent Hyppocroûte pendant qu'il allait à leur rencontre. La tension était palpable. Nedora jetait des coups d'oeil derrière son épaule pour voir ce qui se passait sans s'arrêter de frapper la roche avec sa pioche. Elle vit Baalt avancer à grand pas jusqu'à Kenera et lui chuchoter quelque chose. Quelques secondes après, le chef des mercenaires lança d'un ton tranquille :
- Mercenaires, on avance bien, prenez une petite pause pour ne pas vous épuiser, ou nous n'atteindrons jamais le bout.
Ni une ni deux les mercenaires déposèrent les pioches et les madriers. Tous ? Non ! Nedora résistait encore et toujours à la tentation de la pause comme si elle n'y était pas sujette. Elle était déterminée à en finir avec ce bout de roc qui lui tenait tête depuis plusieurs minutes. Une fois qu'elle aurait gagné ce combat, elle pourrait accepter de prendre une pause méritée. Mais son frère haussa le ton :
- Nedora. Pause, maintenant.
Nedora posa sa pioche en fixant le dos de son frère. Jamais il n'imposait de repos. Et jamais il ne lui parlait sur ce ton. Ca ne pouvait signifier qu'une chose …
Elle rejoignit en trombe les mercenaires qui avaient pris leur pause à l'écart, près de l'entrée du tunnel. Quand elle passa devant les Nimbos, elle vit qu'ils s'énervaient sur le jeune qui avait demandé de l'aide. Ils lui criaient dessus en chuchotant dans leur langue, et jetèrent des regards mauvais à la disciple de Iop jusqu'à ce qu'elle se fut éloignée.
- Bien, dit Kenera quand sa sœur arriva à portée. Nous avons un changement de programme. Nous...
Nedora l'interrompit :
- On ne va pas abandonner le travail comme ça, n'est-ce pas ?
Le Feca soupira et se passa une main sur le visage. Sa sœur et lui ne pouvaient rien se cacher. Ce qui l'agaçait, c'est que ça jouait souvent en sa propre défaveur. Il reprit en parlant lentement pour bien choisir ses mots :
- Nous n'abandonnons aucun contrat, jamais, vous le savez tous. Mais Baalt est revenu avec des nouvelles préoccupantes. Baalt.
Le petit mercenaire se pencha en avant et dit sur le ton de la confidence :
- Le client m'a ouvert la salle des coffres de son clan. Y sont ruinés ! Les légendes sur les Nimbos doivent pas toutes être vraies, parce que les nôtres là, ils sont fauchés comme pas possible ! Y'a à peine de quoi nous payer tous pour le travail qu'on a abattu jusqu'à maintenant.
- Il doit y avoir largement assez pour le travail que tu as abattu pour l'instant, gronda Nedora.
Le petit mercenaire rougit, les traits de son visage s'emmêlant entre la colère et la crainte, faisant un nœud comique avec les plis de son front. Nedora trouvait qu'il ressemblait à une tomate flétrie dans ces moments là. Kenera reprit la parole :
- Nous ne travaillons pas pour rien. S'ils ne trouvent pas de quoi nous payer mieux, nous ne feront pas de zèle. Pour--
- Ils ont demandé notre aide ! Et on a accepté !
- Un seul l'a fait, et nous nous sommes mis d'accord pour être payés au juste prix de nos efforts. Le contrat est déjà rompu. Baalt.
Le petit mercenaire tendit le parchemin qui attestait du contrat.
- Cité et signé, couina-t-il.
Nedora lui arracha le contrat des mains, et le petit mercenaire recula précipitamment en se massant le poignet.
- Ils vont mourir, bon sang de Iop ! On peut les sauver, Kenera !
- Nous sommes des mercenaires, pas des bonnes sœurs Eniripsa, répliqua aussitôt Kenera en haussant le ton.
Il posa un regard glacial sur sa petite sœur et ajouta, plus bas et plus sèchement :
- Si tu ne fais pas la différence, peut-être que tu n'as pas choisi la bonne voie.
Nedora en fut décontenancée. Son frère et elle se confrontaient souvent, mais elle était toujours la plus virulente des deux. Kenera était toujours plus raisonnable et mou. Jamais il n'avait rien dit d'aussi dur. Jamais il ne lui avait adressé un tel regard. A cet instant précis naquit un creux, quelque part dans la poitrine de Nedora.
- Peut-être bien.
- Quoi?, fit Kenera en se retournant, agacé.
- Peut-être bien, oui, poursuivit Nedora un peu plus fort. Peut-être que tu as raison ! Mais qui ici osera en dire autant ? Qui ici osera se ranger comme toujours derrière le grand Kenera Riem et me dire dans les yeux que je suis moins mercenaire que n'importe lequel d'entre vous ?
Nedora défiait du regard chacun de ses frères d'armes. Certains détournaient les yeux, d'autres restaient totalement impassibles.
- Ne joue pas à ça, Nedora.
Kenera prit sa sœur par le bras et la tira à l'écart. Il se retourna et pointa les mercenaires avant de cracher avec autorité :
- Tout le monde lâche ces pioches et sort de ce tunnel !
Face à la confusion de ses mercenaires dont les yeux dansaient tour à tour entre sa sœur et lui, il éructa:
- C'est un ordre !
Les mercenaires obéirent à leur chef. Pas un ne croisa le regard de Nedora. Ils n'étaient plus que tous les deux à présent. Face à face.
Frère et sœur.
Kenera et Nedora.
Riem à Riem.
Ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Le front fier perlé de sueur, le regard résolu et les sourcils froncés par nature, la mâchoire carrée et les traits du visage taillés à la serpe … Personne ne pouvait douter qu'ils avaient le même sang. Kenera le remarquait encore alors qu'il la défiait du regard.
Ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Et pourtant, ils étaient aussi différents qu'ils pouvaient l'être. Lui, un chef dominant, elle une meneuse naturelle. Ce que Kenera avait de force d'esprit, Nedora l'avait de cœur. Il était calculateur, doté d'une force de raisonnement infaillible, elle était passionnée, propulsée par une détermination inébranlable. Il était un mercenaire implacable, qui donnait à la neutralité ses lettres de noblesse les plus froides et intéressées. Elle, n'était plus ça. Ne l'avait jamais été. Nedora en prit conscience en se défiant elle-même à travers le regard de son frère.
- Tu discutes toujours mes ordres, Nedora.
- Nous finissons toujours par nous mettre d'accord.
- Pas cette fois.
Silence.
- Tu as trop changé, ma sœur.
- Non. Je suis restée la même, c'est ce qui te pose tant de problèmes.
- Peut-être.
Silence à nouveau.
- Nous sommes différents, Nedora. De plus en plus, même trop. Tu nuis à l'essence du clan.
- Nous y nuisons tous les deux.
- Mais moi je suis le chef. J'ai le mot final. Le clan est comme je le décide.
Ni elle ni lui ne parlaient plus. Ils savaient que les mots qu'ils avaient au bord des lèvres allaient signer un tournant terrible qu'ils voulaient tous deux esquiver mais qu'ils savaient inévitable. Tout était question de savoir qui aurait le courage de faire le premier pas fatidique.
- Remets-moi ton insigne, souffla Kenera. Tu n'es plus une Riem.
Elle lui avait tendu une seconde avant qu'il ne parle.

Ils échangèrent le dernier regard.
Celui qui disait ce que leur bouche n'avait pas la force de murmurer. Ce que leur cœur n'osait pas hurler.
Kenera tourna les talons. Il fit quelques pas résolus vers la sortie de la mine.
Se retourna. Nedora n'était déjà plus là.
Il essuya une perle de sueur au coin de son œil, causée par la chaleur du volcan.
Un Riem ne pleurait pas.

V. Pour des Terres minées



Nedora ne s'était pas retournée. Elle savait que les choses auraient été encore plus difficiles. Et elle ne voulait pas non plus risquer de faire preuve de faiblesse. Son frère, lui, cœur de glace qu'il était, ne s'était sans doute pas retourné non plus.
Elle était en colère. Très en colère. Elle était triste aussi. Beaucoup plus triste. Elle venait de renoncer à sa seule famille, au clan qui était sa vie, à ses amis. Elle n'avait plus de but pour l'avenir, plus de sécurité, plus de perspective. Mais Nedora n'abandonnait pas si facilement. Malgré la tristesse et la colère et ce poids qui pesait sur son cœur, elle se souvint de son but.
Elle avait un travail à terminer. Peut-être que sa perspective d'avenir ne pointait pas plus loin que ce fond de grotte volcanique, mais elle comptait bien honorer sa promesse si c'était la dernière chose qu'elle ferait. Elle passa devant les Nimbos qui se disputaient avec fureur sans les regarder, et ramassa une pioche.
Déterminée.

- Rah ! On t'avait dit que ça puait c't'histoire !
- Jamais faire confiance à ceux de dehors !
- Y nous ont pas aidé, et y nous ont volé !
- Et toi crétin, t'leur a donné NOTRE trésor ?!
- Fiente de chauffe-souris délavée !
- J'l'avais dit qu'c'était un bizarre lui, pas le tiers d'un Nimbos que c'est, v'là !
Les invectives et les injures fusaient comme des projections de lave sur Hyppocroûte qui avait cessé d'essayer de se défendre. Il savait qu'il avait trop tiré sur le filon et regardait maintenant s'effondrer la confiance et le respect de ses pairs. Le jeune Nimbos, s'il était blessé, n'en montrait rien et accueillait les cris comme un roc au milieu d'une mer déchaînée, impassible et immuable face aux vagues en furie. Les exilés Boutefeu allaient ainsi depuis maintenant un bon quart d'heure et il savait que rien, absolument rien ne les arrêterait.
Ils s'arrêtèrent.
Pic ! Pic !
Hyppocroûte leva son gros nez, surpris, s'attendant à affronter leurs yeux emplis de rage. Mais plus aucun Nimbos ne le regardait. Ils s'étaient tous tus, la bouche à moitié ouverte et la barbe immobile, à fixer le bout du tunnel.
Pic ! Pic !
Hyppocroûte suivit leur regard.
Elle était seule. Entourée de deux colonnes de vapeur qui sortaient du sol, à la lumière de trois pauvres lanternes. Le tabard noué sous la poitrine, la jeune disciple de Iop frappait la pierre avec la force d'une démente, chaque parcelle de son corps sculptée par la tension de ses muscles saillants, tous sollicités, la peau brillante de sueur reflétant l'éclat des lanternes.
Ou peut-être la lumière émanait-elle de la fervente de Iop elle-même ? Pour ce qu'Hyppocroûte en savait, il fallait bien ça pour réduire au silence une bande de Nimbos en colère ! Cette humaine était moins décevante que les autres. Non, il devait être honnête avec lui-même.
Elle était impressionnante. Proprement stupéfiante.
Et, se dit-il d'une voix plus timide dans sa caboche de Nimbos, belle dans l'effort.
Hyppocroûte secoua ses petites jambes et s'activa. Il souleva sans le moindre mal une pioche qui faisait deux fois sa taille et se plaça à droite de la grande femme. Elle s'arrêta une seconde, surprise, et ils échangèrent un regard. Sans un mot, ils se mirent à piquer la pierre en chœur.
Ils s'étaient compris.

Quelques mètres derrière eux, le groupe de Nimbos bougea enfin. Ils s'ébrouèrent et regardèrent autour d'eux comme si on les avait surpris en plein méfait honteux. A vrai dire pour un Nimbos, s'arrêter de râler pour fixer d'admiration une humaine qui minait à leur place était sans doute la meilleur façon d'illustrer le mot « honteux ». Confus, ils maugréaient dans leur barbe, ne sachant plus sur quel manche de pelle danser. Après une seconde à tourner sur eux même, l'un d'eux gronda enfin :
- Les vieux y vont mourir de honte et de colère en vous voyant ! T'peux m'croire, Hyppocroûte ! Tu nous a ruiné et déshonoré ! Toi, t'es plus l'bienvenu chez les Boutefeu tu m'entends ?! T'es même plus un Nimbos !
Il cracha par terre et tous ses confrères l'imitèrent. Après quoi, ils récupérèrent les pioches laissées par les Kenera Riem, emportèrent la majorité des lanternes et abandonnèrent la galerie, non sans lâcher un dernier « Pourrissez ici ! ».
Hyppocroûte et Nedora se retrouvèrent seuls dans la galerie. Un long silence résolu s'installa pendant qu'ils frappaient la roche comme des possédés, avant d'être enfin brisé.
- Merci.
Ils avaient soufflé le mot en même temps.

VI. Jusqu'au bout !

Ils minaient depuis une heure, sans avoir rien échangé de plus que ce seul mot. Ce fut Nedora qui, s'efforçant d'ignorer les courbatures de ses épaules, parla la première :
- Je suis désolée que tu aies perdu ton clan.
- J'suis désolé qu't'aies perdu l'tien.
Ce fut assez de discussion pour l'heure entière qui suivit. Mais ces quelques mots avaient gravé quelque chose entre eux, comme une entente, et bientôt les langues se délièrent, la glace se brisa. Cette fois, ce fut Hyppocroûte qui engagea la conversation :
- Pourquoi tu fais tout ça ?
- Tout ça quoi ?
- Bah, nous aider. Tu seras pas payée, et plus nimportant, t'y perds plus que t'y gagnes.
- Pas du tout.
Le Nimbos releva un peu son casque pour détailler Nedora, perplexe. Elle jouait de la pioche sans relâche comme une vraie Nimbotte, et avait répondu avec tant de certitude que ça ne pouvait être que vrai, mais Hyppocroûte avait beau retourner la situation dans tous les sens, il ne voyait pas comment elle pouvait être gagnante dans l'histoire.
- Mais tu n'as plus-…
- Je sais ce que j'ai perdu, le coupa-t-elle.
- Et ?
- Je me concentre sur ce que je gagne.
Un silence ponctua sa réponse, seulement dérangé par les coups de pioche.
- Tu gagnes quoi ?
- Mon honneur intact, la fierté de les avoir sauvés, la satisfaction du travail accompli. Iop me regarde et je sais qu'il sourit.
- C'pas ça qui va te nourrir !
- Ca l'a toujours fait jusqu'à maintenant.
Une fois de plus, le Nimbos ne trouva rien à répondre. Nedora essuya le haut d'une pommette.
- Tu pleures ?
- Non.
Elle ajouta après un silence :
- Un Riem ça ne pleure pas.

Dans le tunnel, la chaleur grimpait drastiquement, sapant leurs forces à toute vitesse. En voyant que Nedora ne piquait plus droit, Hyppocroûte la força à s'arrêter et exigea une pause pour boire et souffler. Nedora déclina l'offre mais un revers bien senti dans le mollet lui rappela qu'on ne lui donnait aucunement le choix. Ce Nimbos avait une force surhumaine ! Elle était exténuée mais lui, il ne suait même pas, il n'avait pas l'air d'avoir besoin d'une pause. Cette constitution hors normes ne pouvait qu'imposer le respect aux yeux de la disciple de Iop. Ils s'adossèrent à la paroi de la galerie, côte à côte. Le Nimbos but à sa gourde et lui tendit.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Bière.
- Non merci. Je ne bois pas au travail.
Le jeune Nimbos émit un rire étouffé par sa petite barbe.
- C'est pas nimporte quelle bière. C'est de la bière de Nimbos. Essaie !
Trop assoiffée pour laisser sa conscience professionnelle l'emporter, Nedora empoigna la gourde et la porta à ses lèvres. Le breuvage coula à travers sa gorge comme un magma fluide qui la brûla, mais fut aussitôt suivi par une sensation de douceur et une chaleur agréable. D'un coup, Nedora se sentit euphorique, en gardant malgré tout la tête froide et les idées claires. Elle se sentit requinquée dans toutes les fibres de son corps. Ses muscles contractés se détendirent enfin, la chaleur diffuse qui se propageait en elle soulagea les douleurs dans ses épaules, son dos et ses pieds. En même temps, elle se sentit un peu plus légère dans son cœur et dans sa tête.
- Incroyable .. ! s'exclama-t-elle à mi-voix.
- On n'boit que ça quand on creuse, expliqua Hyppocroûte non sans une pointe de fierté chauvine dans la voix. C'est pour ça qu'on est les meilleurs !
- Quand je reformerai un clan, on ne boira que ça aussi !
La déclaration la surprit presque autant que le Nimbos. La bière avait fait des miracles sur son moral et, bien que sa peine de s'être séparée de son frère était toujours grande, elle envisageait l'avenir avec un regain d'énergie.
- C'est ça que tu comptes faire alors ?
Nedora hocha la tête. L'idée se précisait dans sa tête, comme si elle l'avait toujours eue sans le savoir. Soudain, la boule qui grandissait dans son estomac se perça, et Nedora ne se retint plus. Elle raconta au Nimbos sa dernière dispute avec son frère, dans le tunnel. Elle admit les regrets qui pesaient sur ses mots, la douleur, tout. Jamais elle ne s'était ouverte ainsi à quelqu'un et soupçonna la bière d'y être pour quelque chose.
- Ton frère il se trompe.
- Quoi ?
- J'pense pas que tu sois plus une Riem. T'es juste plus une Kenera. Mais t'es qui t'es, et qui t'es c'est Nedora Riem tout entier. C'est ça l'plus nimportant.
Cet avis tira un léger sourire à Nedora, mais une ombre dansait toujours dans les immensités opalines qu'étaient ses yeux. Hyppocroûte su comment apaiser son trouble.
- Toi, je sais c'qu'il te faut.
Nedora posa sur le petit être en armure un regard interrogateur. Il lui tendit sa pioche en souriant :
- On s'remet au boulot !
Le visage de Nedora s'illumina un peu plus et il ajouta pendant qu'elle se relevait :
- Tu m'parleras de l'avenir pendant qu'on mine.
Et c'est ce qu'elle fit. Sans filtre et avec entrain. Doucement mais sûrement, un phénomène qui ne s'était plus produit depuis des âges immémoriaux de mémoire d'homme ou de Nimbos se dessinait au fond de ce tunnel. Une amitié naissait entre la Iop et le mineur.
Nedora expliqua au Nimbos comment elle imaginait son futur clan :
- Le clan de mon frère est puissant et renommé, mais il a ses failles, il exclue des clients. Les pauvres, principalement. Les mercenaires de Kenera ne travaillent que si les Kamas coulent à flot dans leur bourse. Passé cette condition, ils n'ont pas de limite morale au-delà de celle dictée par la loi. Et encore ! Extorquer un paysan de force pour qu'il paie ses dettes ? Abattre une construction érigée sans autorisation ? Traquer quelqu'un ? « Tant qu'il paie, le client est roi ». Moi, je vois pas les choses de cette manière. Je …
Elle cherchait ses mots. Pendant qu'elle réfléchissait tout en minant, Hyppocroûte la regardait en ajustant un madrier. Ce regain d'espoir faisait chaud à son cœur profondément enfoui sous les entrailles de son être. Il savait d'avance ce que Nedora voulait exprimer, il pressentait que ce qu'elle voulait créer était à son image et que, forcément, ce serait quelque chose de bien. Enfin Nedora trouva les mots :
- En venant ici, quand j'ai vu le volcan pour la première fois, je n'avais qu'une idée en tête : l'escalader. J'imaginais l'ascension extrême, la douleur dans mes muscles, la sueur de mon front. Je visualise l'étendue du défi, puis …
Elle ferma les yeux et cessa un instant de creuser. Avant qu'elle ne reprenne, Hyppocroûte savait qu'elle était là-haut, au sommet.
- Puis je m'imagine en haut, victorieuse. Je regarde en bas, et je me délecte du chemin parcouru, de l'effort triomphant. Enfin je m’assoie sur le volcan que j'ai vaincu, je donne à mes muscles le repos, et j'admire le paysage qui s'étale jusqu'à l'horizon, et les étoiles qui brillent au-dessus de moi.
C'est comme ça que j'imagine mon mercenariat. Mes hommes, ils trouveront leur satisfaction dans le travail accompli, et leur paiement se suffira à un bon repas ou un lit pour la nuit, pas dans les Kamas qui rendent si corruptible et qui flétrissent l'âme. Ils seront même prêts à travailler gratuitement si c'est pour le bien commun. Je sais d'expérience que le meilleur moyen de recevoir quelque chose, c'est d'abord de donner. La reconnaissance paie. Ils seront appliqués, ils aimeront ce qu'ils feront, et ils le feront pour tous, dans les limites de l'éthique et c'est notre honneur de femmes et d'hommes que nous respecterons.
Elle sourit et ajouta :
- Et on ne boira que la bière magique que tu nous concocteras !
Le rire bourru d'Hyppocroûte se joignit à celui de Nedora, mais quelque chose avait secoué le Nimbos sous son armure avec la force d'un éboulement. Sauf que celui-ci trouvait sa source dans sa gorge et la dévalait jusqu'à son cœur. Implicitement, Nedora venait de l'inviter à rejoindre sa future famille, si naturellement, comme si l'idée tombait sous le sens, sans faire cas de ce qui les différenciait. Le Nimbos remercia la chaleur étouffante de masquer le feu qui lui montait aux joues.
Il était ému.
Et rayonnant.

VII. Une Légende est née



Les heures passaient dans la galerie et les deux nouveaux amis abattaient un travail de titan. A deux, ils avaient déblayé une bonne partie de l'éboulis et, bien que les Nimbos piégés soient toujours aussi obstinément silencieux, ils sentaient qu'ils touchaient au but. Ils combattaient le temps et l'épuisement en discutant avec entrain. Elle lui racontait son enfance, son entraînement, ses contrats mémorables, elle expliquait avec grande précision comment serait son clan de mercenaires en s'attardant jusqu'à leurs futurs préceptes. Lui lui apprenait les subtilités de la mine, la vie sous la montagne, et même quelques chansons Nimbos populaires chez les mineurs. Hyppocroûte imaginait la tête des vieux Nimbos de l'autre côté de l'effondrement en entendant une humaine chanter leurs chansons et s'en réjouissait. Ils seraient certainement très énervés, mais le Nimbos s'en fichait. Il savait qu'une fois sa mission achevée, il aurait une place ailleurs dans le monde. Une place au côté de Nedora Riem. Une place...
Il fut alerté par le bruit que fit Nedora en tombant.
- Hé !
Il lâcha sa pioche et vint la soutenir en se maudissant sept fois. Elle était à bout de force. Sa propre condition l'avait rendu inattentif aux besoins de sa voisine, pourtant même si elle ne s'était pas plainte une seule fois, les signes ne trompaient pas. Sa poitrine se soulevait furieusement, elle soufflait comme une forge et suait comme si elle était prise d'une violente fièvre. La pauvre tremblait de tous ses membres et ses mains couvertes de cloques étaient si crispées qu'elles ne parvenaient même plus à lâcher le manche de la pioche.
- Par la barbe puante de Burin ! Quel nimbécile je fais, faut que tu te reposes Nedora !
- On est presque au bout, souffla-t-elle, la joue contre le sol.
- C'toi qu'est à bout, ma fille ! Une pause, c'est un ordre !
- Et tu cr- Hmrraah... T-tu crois que la lave de l'autre côté, elle prend une pause ? Non, hmpf, on finit.
- Mais tu vas en mourir si tu te reposes pas !
Nedora sourit mais son regard dans la poussière transperça Hyppocroûte. Ses yeux qui n'étaient plus que deux fentes blanches immaculées livraient un message limpide. S'il essayait de l'arrêter, elle userait de ses dernières forces pour l'étrangler. Le Nimbos se savait bien plus fort qu'elle surtout dans la situation actuelle, pourtant il ne doutait pas qu'il n'avait aucune chance si elle se mettait en colère contre lui. Il la redressa doucement, autant que sa petite taille lui permettait.
- Et quoi maint'nant, hein ?
- Passe moi donc ta gourde.
Il s'exécuta et Nedora avala une dernière rasade qui aurait fait blêmir un Pandawa adulte. Elle rendit la gourde au mineur en s'excusant d'un petit « désolé » quand celui-ci constata qu'elle était vide.
Nedora se releva.
Ses jambes tremblaient.
Ses bras tremblaient.
Son corps entier tremblait.
Sa volonté n'avait pas bronché. Elle donna le premier coup de pioche.
La montagne frémit.

A chaque fois qu'il levait son outil au-dessus de sa tête, Hyppocroûte jetait un œil à Nedora. Elle puisait dans des réserves qu'elle n'était pas sensée avoir, il ne comprenait pas par quelle force elle tenait encore debout. Pourtant, la disciple de Iop frappait la pierre plus fort que jamais, comme si elle menait sa plus grande bataille. Le volcan était devenu un guerrier à l'armure aussi solide que le monde, à l'acier aussi tranchant que le diamant. C'était un combat perdu d'avance.
Pourtant, Hyppocroûte n'aurait pas placé un lingot dans la victoire du volcan. Il savait que Sidimote n'avait aucune chance.
Nedora était comme possédée. Plus rien d'autre ne comptait pour elle que de mettre au sol ce ridicule bouchon de gravats. Hyppocroûte la regardait avec fascination, et envie. Il se demanda même si une quelconque déesse des profondeurs ou de la montagne ne s'était pas incarnée en elle tant cette femme était impossible. Sa détermination, sa férocité, sa force, sa beauté guerrière et sauvage …
Hyppocroûte était sous le charme, il se sentait transporté par son élan, et bien qu'il fût atrocement inquiet de son état, il savait que ça ne servait à rien de tenter de l'arrêter. Il ne connaissait pas bien les Douze, mais il était convaincu que Iop l'eût-il voulu, il n'aurait pas pu se mettre en travers de son chemin. Hyppocroûte ressentait une certaine fierté de se tenir à côté d'elle. Et peut-être aussi autre chose, mais il ne parvint pas à mettre le doigt dessus.
Ses pensées s'envolèrent derrière le grondement assourdissant.
L'éboulis s'effondrait,la voie était ouverte !
Nedora s'effondra juste après.
- Nedora !
Le Nimbos la traîna loin de l'effondrement, aveuglé par l'air chargé de particules. Derrière l'épais rideau de poussière, il pouvait voir le rougeoiement de la lave et les ombres dansantes des silhouettes des autres Nimbos.
- On a réussi ! On a réussi Nedora, s'exclamait-il, penché sur elle.
Elle répondit par une quinte de toux et un sourire-grimace.
- Bouge pas, j'reviens !
Hyppocroûte se hissa sur ses petites jambes et traversa les restes étalés de l'effondrement.
Les Nimbos étaient là et ils étaient … Toujours aussi désespérément eux-mêmes. Boudeurs, ils étaient assis en cercle dans une cavité légèrement en contrebas, entourée par un coulis de lave. Ils gardaient les bras croisés et le regard fermé. Hyppocroûte dû les appeler trois fois pour qu'ils daignent poser leurs yeux sur lui. S'ils prenaient des airs colériques, ils ne parvenaient pas à dissimuler leur surprise et finirent enfin par parler :
- On peut pas passer ! La lave elle nous bloque quand même !
En effet, la lave qui les encerclait s'étendait trop pour qu'ils puissent l'enjamber ou sauter au-dessus. Alors qu'il luttait pour ne pas céder à la panique et au découragement, le jeune Nimbos entendit un grognement à côté de lui. Il tourna sa grosse tête et manqua de tomber à la renverse.
Comment était-ce possible ?!
Nedora se tenait près de lui à moitié en train de marcher sur ses genoux, à moitié en train de ramper. Sous chaque bras, elle traînait un madrier en grognant. Ses veines palpitaient sur son cou et ses lèvres flétries par la chaleur saignaient, tout comme ses genoux sous son pantalon déchiré. Hyppocroûte était partagé entre l'envie de pleurer et le choc admiratif, mais il se ressaisit et agit rapidement. Il aida Nedora à porter les poutres de bois et les poussa pour faire un pont de fortune au-dessus de la lave. En face, les vieux Nimbos se regardaient comme si leurs sauveurs étaient fous. Jamais ils ne passeraient là-dessus !
- Allez les gars, vite vite ! Passez !
- C'est nincensé ! Ca va jamais t'nir ton machin !
- TRAVERSEZ, MAINTENANT !
Nedora avait hurlé, et dans son cri se mêlaient l'autorité et la souffrance que subissait chaque parcelle de son corps. Les Nimbos étaient têtus comme personne et détestaient deux choses par-dessus tout : qu'on leur donne des ordres, et qu'on leur crie dessus.
Ils obéirent malgré tout.
Aucun d'eux ne remercia Nedora qui, pantelante, gisait contre la paroi du tunnel. Certains s'offrirent le luxe de cracher aux pieds d'Hyppocroûte avant de détaler hors de la galerie. Le jeune Nimbos ne s'attendait pas à moins de leur part. Il se laissa tomber à côté de son amie.
- Mission accomplie, hein ?
Nedora ne répondit pas.
- T'vas pouvoir rentrer chez toi et prendre du bon repos ! Et faire ton clan, héhé.
Elle ne répondit pas non plus à ça.
- Merci d'avoir sauvé les miens.
Nedora ne répondait toujours pas.
Hyppocroûte posa les yeux sur elle et s'alarma instantanément. Les yeux fermés, elle respirait à peine et avec grande difficulté. Plus aucun muscle ne bougeait sous sa peau. Elle était à bout de force.
- Oh, non non non.. ! Tiens bon, grande nimbécile, j'vais chercher quelqu'un !
Une main se referma sur son coude. Une main si faible, si désespérée.
Un appel. Irrésistible.
Le Temps retient son souffle.
Le Nimbos se laisse tomber à côté de son amie, et se penche au-dessus d'elle.
Il retire son casque et colle son oreille contre les lèvres tuméfiées de la mercenaire.



VIII. Mots



- Où suis-je ?
- Au bout du tunnel, Nedora.
- Non.
- T'es où, alors ?
- Je suis au sommet.
- D'accord.
- Hyppo' ?
- Quoi ?
- Je crois que je meurs.
- Je crains ça aussi, ma grande.
- Hyppo' ?
- Quoi ?
- J'ai gagné.
- T'as gagné.
- Tu les vois, les étoiles ?
- Non.
- Pas de chance. J'ai de la chance. Elles sont belles.
- Nedora …
- Faut que tu partes.
- Non !
- Le tunnel va pas tenir.
- Je t'emmène.
- Non ! Laisse-moi au sommet.
- T'es pas au sommet Nedora.
- Si.
- D'accord.
- Tu crois qu'on se souviendra de mon nom, Hyppo' ?
- Personne l'oubliera jamais.
- Ca, c'est un mensonge. Personne se souviendra de Nedora.
- Oui.
- …
- Mais tout le monde se rappellera Nedora Riem.

Nedora rendit son dernier souffle. Elle souriait.

IX. Le Tombeau de Nedora

Trois mois s'étaient écoulés depuis le sauvetage des Nimbos piégés. Chez les parias Boutefeu, personne ne mentionna jamais l'incident, et le nom d'Hyppocroûte fut banni des conversations.
Celui-ci n'était évidemment pas rentré chez lui. A vrai dire, presque plus personne ne l'avait revu durant les mois écoulés. Le jeune Nimbos ne semblait plus quitter le tunnel. Il y faisait on ne savait quoi, le bruit des pioches et marteaux qui résonnaient parfois au fond de la galerie étaient la seule garantie qu'il était encore en vie. La seule fois où il quitta ce maudit tunnel, ce fut pour se glisser dans le royaume Boutefeu, soudoyer un des meilleurs ingénieurs Nimbos et l'emmener de force avec lui. A son retour, l'ingénieur Nimbos avait été assailli de questions, mais tout ce qu'il acceptait de répondre quand on lui demandait ce qu'Hyppocroûte mijotait, c'était « Nimpossible et stupide, voilà c'qu'il a exigé de moi ». Quant à savoir comment le jeune exilé des exilés s'y était pris pour persuader l'ingénieur d'accéder à sa demande, personne ne parvint à lui arracher le moindre indice.
Au sortir du quatrième mois après l'incident, Hyppocroûte se glissa pour la millième fois dans le tunnel, poussant un chariot recouvert d'une bâche. Le jeune Nimbos était méconnaissable. Ses joues rondes avaient perdu leurs couleurs, son regard était éteint. Sa barbe avait certes poussé, mais n'était pas entretenue et partait dans tous les sens, ce que les autres Nimbos auraient trouvé de très mauvais augure.
Et pourtant, le Nimbos ne s'était pas entièrement laissé aller. Il n'avait pas chômé pendant ces mois difficiles de deuil. La galerie était bien plus large et mieux taillée, ses parois consolidées et éclairées. Au fond du tunnel, là où, une éternité auparavant, se dressait l'éboulis qui avait été la cause de tant de problèmes, il y avait des explosifs dont on devinait que leur disposition avait été minutieusement calculée, mais seul Hyppocroûte connaissait leur utilité. Il traversa la démarcation minée sans y prêter la moindre attention, et descendit dans la grotte dans laquelle avaient été piégés les vieux mineurs, des mois plus tôt. Là aussi, Hyppocroûte avait fait des travaux remarquables. La cave naturelle s'était transformée en une salle circulaire taillée dans la pierre, aux murs parfaitement polis. La fuite de lave avait été colmatée pour stopper son écoulement. Celle qui s'était déjà écoulée s'était vue contenue dans une tranchée qui longeait le bord de la salle et servait d'unique éclairage. Au centre de la cave trônait un épais cercueil de pierre sombre.
La tombe de Nedora.
L'objet avait été taillé de manière rudimentaire et sans fioritures, ce qui le confondait presque avec le reste de la roche autour, comme s'il avait poussé naturellement hors de la terre. Ce n'était pas le plus beau des cercueils et il ne resplendissait pas vraiment, mais Hyppocroûte s'était dit que Nedora l'aurait préféré ainsi, sobre et solide. Derrière la tombe cependant, il avait mis un point d'honneur à ériger une stèle digne de son nom. La tablette de pierre faisait trois kamètres de haut, deux de large et presque autant d'épaisseur. Il y avait gravé dessus les commandements que Nedora lui avait répété plusieurs fois pendant leurs conversations, ceux qu'elle imaginait pour ses futurs mercenaires. Au-delà de règles pour son projet, le jeune Nimbos y retrouvait avant tout la philosophie de vie de la disciple de Iop. Ces commandements la représentait parfaitement. Il relut la dernière ligne qu'il avait inventé lui-même en gage de souvenir, et ne put s'empêcher de sourire.
Hyppocroûte resta un long moment à contempler la stèle. Avec un reniflement, il sortit enfin de sa torpeur. Il lui restait un dernier effort à fournir pour compléter son œuvre, et pas des moindres, il avait du pain sur la planche.
Les travaux finaux n'étaient pas longs, mais ils exigeaient une certaine acrobatie et plus de force qu'il n'en avait jamais fourni. Mais au bout de cinq heures de travail appliqué, l’œuvre était enfin complète. En tapotant la pierre sombre de la tombe de Nedora, il leva les yeux sur le plafond.
Un immense filon de charbon s'était révélé au-dessus de la grotte et Hyppocroûte en avait tiré profit. Le plafond de la salle était d'un noir profond, dans lequel le jeune Nimbos avait incrusté des pierres précieuses que la lumière émise par la tranchée de lave faisait briller de mille feux, donnant au plafond un stupéfiant air de ciel nocturne.
- Tout l'monde les voit maintenant, tes étoiles, marmonna Hyppocroûte à Nedora.
Assis, le dos calé contre le tombeau de pierre, le jeune Nimbos se remémorait les quelques moments passés avec son amie quand un bruit résonna dans la galerie. Aux aguets, il se leva et empoigna un lourd marteau. Il était hors de question que le moindre Nimbos ou Gobelin des profondeurs ne souille ce sanctuaire !
Le Nimbos lâcha son arme.
Il faillit ne pas reconnaître la haute silhouette qui se découpait maintenant devant l'entrée du caveau, avachie et misérable.
Kenera Riem.

X. Le Dernier des Riem



Les yeux cernés du fervent de Feca contemplaient la salle taillée dans le volcan. Il peinait à croire ce qu'il voyait. Il en était si étonné qu'il ne vit pas tout de suite le Nimbos qui l'observait d'un regard éteint, appuyé contre le manche d'un marteau, devant ce qui ne pouvait être que …la sépulture de sa sœur. Les jambes de Kenera tremblaient mais il tint bon. Sa voix, en revanche, ne fut pas aussi stable.
- Ce... C'est toi qui a fait … Tout ça ?
Le Nimbos répondit par un grognement. Kenera traversa la passerelle qui enjambait la tranchée de lave et s'approcha de la tombe.
- Comment t'as su ?
La voix du Nimbos était presque imperceptible, mais le Feca l'entendit clairement dans le silence de cathédrale de la caverne. Pour toute réponse, il haussa les épaules.
C'était sa sœur, évidemment qu'il savait. Il l'avait ressenti dans tous les pores de sa peau, comme un frisson surnaturel. Le lien du sang. Sans rien dire, il tourna autour du cercueil en laissant courir ses doigts sur la pierre rugueuse. Il s'arrêta devant la stèle et déchiffra les gravures. Sa gorge se noua et il se tourna vers le Nimbos qui l'avait suivi. Il lui arrivait à peine à la hanche.
- Qu'est-ce que … Tu as écrit ça ?
Hyppocroûte hocha la tête.
- C'est ses mots. Elle voulait ninventer un clan à son image.
- Ca lui ressemble, c'est … C'est fidèle.
Kenera plissa légèrement le nez, perplexe.
- La dernière ligne aussi...?
Il fut secoué par le rire du Nimbos. Si soudain qu'il avait cessé au moment-même où il avait éclaté.
- Elle y aurait mis un point d'honneur, mais c'est ma touche à moi.
La dernière ligne disait : « Si la soif il faut étancher, seule la Bouteflamme étanche le gosier.»
Kenera médita sur la déclaration comme s'il fallait y voir quelque chose de philosophique.
- Est-ce que je peux …
Le Nimbos darda un regard ardent sur le chef mercenaire. Kenera, déjà affaibli, se sentit écrasé et dut batailler pour ne pas faire un pas de côté, étouffé par les yeux brillants du petit être. Finalement, Hyppocroûte acquiesça d'un grognement. Il s'écarta avant de revenir avec un marteau et un burin qu'il tendit à Kenera. Il les prit en faisant des efforts pour ne pas trembler, prenant en même temps conscience pour la centième fois d'à quel point il n'avait été plus que l'ombre de lui même sans sa sœur. Chaque coup qu'il plaçait sur la stèle était comme un clou planté dans sa chair, un regret épinglé sur son âme. Quand il eût fini son inscription, au-dessus des autres, Hyppocroûte approuva :
- Il est à la bonne place.
« Ton clan est ta famille, la famille avant tout. »
Il restèrent un moment à contempler la stèle en silence, puis Kenera parla :
- Je suis venu pour te trouver toi aussi.
- Ah.
L'absence d'intérêt qui émanait du Nimbos le décontenança. Il sortit de sous sa tunique deux objets :
Un petit livre à la reliure de cuir, et un simple feuillet seulement relié par un lacet de chanvre.
- J'ai écrit ça. Il faut … Est-ce que tu peux lire ?
Il tendit les deux documents au Nimbos. Pendant l'heure qui suivit, un silence religieux s'installa alors qu'Hyppocroûte lisait les mots de Kenera à la lueur de la lave et des éclats irisés des joyaux-étoiles incrustés dans le plafond. Lorsqu'il eut terminé, il posa sur le Feca un regard interrogateur. Celui-ci s'expliqua :
- Le livre est fait pour être publié, expliqua celui-ci. C'est … L'histoire que le monde entier doit connaître. Mais je...
La suite était difficile à admettre pour lui, et ce n'était pas seulement le chagrin qui nouait sa gorge et empêchait les mots de sortir.
- Mais je devais te consulter toi, avant. Tu … Tu as ton mot à dire.
Le Nimbos observait la couverture de cuir, replié dans une intense réflexion. Finalement, il rendit le petit livre à son auteur en hochant la tête.
- T'as été dur, ajouta-t-il tout de même. Elle te détestait pas, au contraire.
Un petit sourire triste étira les lèvres blafardes du Feca.
- C'est sans doute mieux si ça avait été ainsi. Disons que c'est … Ma punition.
- Hm. Et ça ?
Le Nimbos montrait le feuillet bien plus négligé, qu'il avait lu aussi.
- Ca, c'est la véritable histoire, comme tu le sais. Je veux que tu le gardes, aussi précieusement que cette tombe si tu es d'accord. Au cas où quelqu'un découvrirait le chemin jusqu'ici. Disons que c'est...
- Ta rédemption, acheva le Nimbos, sans émotion.
Il acquiesça.
- Et je te laisse juge du temps qu'il faudra avant que je la mérite.
- Hm.
Les yeux de l'homme dépenaillé se figèrent sur la tombe. Après un silence, il souffla :
- Si tu savais ce que je regrette, j-...
- Non.
L'interruption du Nimbos lui coupa le souffle. Avant qu'il ne puisse prononcer un autre son, le petit mineur poursuivit :
- Si tu veux te recueillir, c'est sans témoin, sans justification. J'attends dehors.
Et il le laissa là avec sa sœur, sous la voûte étoilée.

Le chef mercenaire ne savait pas combien de temps il avait passé dans le tombeau de Nedora. Sous la montagne il était impossible de distinguer le jour de la nuit, la seconde de la semaine. Ce dont il était convaincu en sortant, c'était qu'eusse-t-il passé un siècle à se recueillir, le Nimbos aurait été là à l'attendre, gardien aussi immuable que la montagne sous laquelle il vivait. Le mercenaire s'autorisa une dernière contemplation de la sépulture. Elle correspondait parfaitement à sa petite soeur. Le charbon et les diamants, la lave et la pierre, la rudesse et la beauté. Il jeta également un dernier regard au feuillet qui contenait ses mots les plus sincères, posé sur la tombe noire. Il se sentait apaisé. Malgré tout, il ne pouvait s'empêcher de penser que sa sœur aurait aimé un dernier détail à cette merveille qu'était sa caverne. Elle adorait les …
Comme s'il avait lu dans ses pensées, le Nimbos le tira en arrière sans ménagement.
- Recule.
Il l'entraîna jusqu'à mi-distance de la sortie de la galerie. Là, dans une anfractuosité de la paroi, il trouva un levier. S'il n'en montrait rien, le jeune mineur était extrêmement anxieux. L'ingénieur Nimbos lui avait fait des plans très précis mais c'était lui qui avait assemblé l'incroyable mécanisme, et il doutait fortement de ses compétences dans le domaine. Si sa dernière touche échouait, tout s'effondrait. Est-ce qu'il valait vraiment la peine de prendre un tel risque ?
Le Nimbos abaissa le levier.
Il avait foi en Elle.
Une série de détonations retentirent sous leurs pieds et le disciple de Feca scrutait avec inquiétude les parois du tunnel qui tremblaient, au bord de l'affolement. Il avait une irrépressible envie de décamper mais la sereine assurance dont faisait preuve le Nimbos le retenait au sol aussi sûrement que l'auraient fait des chaînes. Enfin, les mines à l'entrée du tombeau explosèrent mollement, et le sol sur un kamètre de large s'effondra ! Mortifié à l'idée de voir la tombe scellée, le mercenaire courut jusqu'au bord du trou qui venait d'être fait. Il n'en cru pas ses yeux. Devant l'entrée de la grotte, une zone large d'un kamètre avait tout simplement disparu. A la place, un gouffre insondable plongeait dans les entrailles de la terre. Seule une bande de pierre épaisse avait subsisté au centre de l'abyssale tranchée, faisant office de pont entre le tunnel et la tombe. Kenera fit un pas en arrière, pris de vertige. Cet exploit était tout bonnement impossible ! Attendant cet instant, Hyppocroûte retint son souffle et abaissa encore plus le levier.
Il y eut une série de claquements de mécanismes interminable, puis un grondement sourd. Cette fois, il venait d'au-dessus de leurs têtes et s'approchait à grande vitesse.
Le plafond au-dessus du gouffre explosa.
Un immense déluge d'eau froide s'écrasa sur le pont et s'écoula dans le gouffre créé par les explosions.
Kenera fut éclaboussé et tomba à la renverse. Hyppocroûte le rejoint, la barbe frétillante et ses petits yeux embués. Il avait réussi !
D'une voix tremblante d'émotion, Kenera souffla :
- Elle adorait les cascades.
- J'm'en suis douté.
En effet, la grotte était à présent dissimulée derrière une impressionnante cascade qu'Hyppocroûte avait généré artificiellement.
- Comment as-tu pu si bien la connaître ? Vous ne vous êtes côtoyés que quelques heures et …
Leurs regards se croisèrent,et Kenera comprit. Il connaissait bien cette lumière dans les yeux, qui venait de très profondément à l'intérieur. Ils savaient tous les deux.
Ils n'avaient pas besoin de mots.
- Tu pleures, lui dit Hyppocroûte avec une voix tremblante qui faisait penser à du gravillon remué.
- Non, rétorqua Kenera.
Il essuya son visage perlé de gouttes d'eau de la cascade et de chaudes larmes.
- Un Riem ça ne pleure pas.
Le Nimbos l'aida à se relever.
Ils se tinrent côte à côte, à admirer la cascade. Enfin, tous deux s'éloignèrent et alors qu'ils remontaient la galerie, Hyppocroûte pointa le petit livre en cuir que Kenera tenait dans sa main.
- C'est nindécent, une couverture vierge. Lui faut un titre.
- Je crois que j'en ai un, répondit Kenera. Tu me donnes ton avis ?
Pour toute réponse, le Nimbos se contenta de le regarder avec attention. Kenera leva le petit livre devant ses yeux.
- Dans l'Ombre de son Sang.

La Véritable histoire de Nedora Riem 727463spa

Dans l'Ombre de son Sang aura guidé les pas des mercenaires jusqu'en l'An 650, année à laquelle la véritable histoire de Nedora nous a été révélée. Bien qu'à présent caduque, Dans l'Ombre de son Sang demeure une part importante de notre histoire. Vous pourrez en trouvez la copie de ses fragments dans cette section du temple.

- Note du Clan Nedora Riem
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